• Chapitre 3

     
    Point de vue Extérieur

      La foule s'était dispersée depuis quelques pas déjà. Les groupes d'élèves se divisaient un peu plus à chaque coin de rue. Ils s'agglutinaient comme des souris les uns aux autres le plus longtemps possible, voulant retarder au maximum le moment où il n'y aura plus que leur pas pour résonner dans les rues. Mais Yachiru n'avait pas peur de la solitude. Elle l'affectionnait comme on aime méditer seul. Être seule pour mieux voir les autres. Les observer sans jamais être parmi eux vraiment, juste assez près pour les connaître et les comprendre, juste assez loin pour leur survivre. 

      Les écouteurs de son mp3 plantés dans ses oreilles, le nez niché dans son écharpe, ses yeux se baladaient sur les divers tableaux que peignait la ville à cette heure. Yachiru avait finit ses cours optionnels et rentrait enfin chez elle. La musique baignait de son mélodieux la ville qui se laissait lentement engloutir par l'obscurité. Ce genre d'entre-deux qu'offre le coucher du soleil est en général décrit comme quelque chose de magnifique, de sublime, de poétique, mais ici, dans cette ville, la lumière des fades rayons du soleil fatigué entachait par-ci par-là les murs sales d'un orange douteux, une teinte presque jaunâtre. Rien de bien romantique. Yachiru s'engouffra dans une ruelle à sa droite. Elle savait. Elle connaissait les endroits où la lumière était belle, où les images qu'elle révélait étaient belles, où la ville qu'elle n'appréciait guère était belle. À quelques mètres en face du trottoir, une statue de chat porte-bonheur était posée sur le rebord d'une fenêtre d'un restaurant. Aux dernières lueurs du jours la patte levée du félin paraissait être d'or. Les quelques notes de xylophone qui firent apparition dans la chanson semblait venir de la clochette au cou du chat. Elle pressa son pas. Il était déjà tard, et elle allait être en retard. Les cours avaient finit un peu plus tard qu'à l'habitude et elle avait fait un détour par le parc, où elle avait d'ailleurs aperçu le groupe de Rintaro s'installer. Eux ne l'avait pas vu, heureusement. Une voiture brouilla la musique quelques secondes de son bruyant passage. Yachiru tourna à gauche pour emprunter une rue plus étroite pour ces véhicules. Ici, au pied du mur de la bibliothèque poussait une touffe d'herbe. Elle s'était toujours demandée pourquoi la bibliothécaire ne l'enlevait pas. Mais à l'autre bout de la rue, dans son dos, le soleil arrivait directement pour inonder le passage, éclaboussant l'herbe d'une superbe aura incandescente. Elle remonta rapidement la rue, puis s'engouffra à droite. Encore quelques rues et elle serait chez elle.
     
    Point de vue Yachiru
     
    - Itadaima
    - Okaeri ...


      Je posais mon sac dans le vestibule le temps de me déchausser. J'étais arrivée juste à l'heure. 7H00 ? J'accrochais mon manteau et rangeais correctement mes chaussures à leur place, bien alignées, sinon on me faisait revenir pour ranger et je détestais ça. Puis je passais sans un regard vers mon père qui planchait sur ses dossiers, arc-bouté sur la table du salon. Sans un regard vers ma mère qui devait encore être occupée à la cuisine. Je filais dans ma chambre, grimpant les escaliers les yeux presque fermés. Je laissais tomber mon sac au pied de mon bureau et m'affalais sur les draps. Ah~ , je n'étais pas en retard mais j'avais dû trottiner un bon moment pour rattraper le temps perdu à rêvasser dans les rues. En bas, j'entendis ma mère allumer le poste de la télévision. Mauvaise idée maman, tu sais très bien que papa ne peut pas se concentrer avec les infos qui défilent. Mais comme toujours tu avais dû oublier, et comme toujours la voix de papa presque stressée par le travail pesta contre toi. Je voulais un peu de calme après cette journée toute particulière, mais pour ça j'aurais dû rentrer plus tôt, alors que ma mère était encore affairée en cuisine et que mon père ne faisait que marmonner devant ses feuilles. Mon bras se tendis vers mon lecteur CD, ... trop loin. Ah~ ... J'allais devoir battre cette fatigue et me lever. Résignées, mes jambes me portèrent mollement jusqu'à la table de chevet postée sous la fenêtre. Je saisis un disque au hasard et la machine l'engloutit pour laisser s'échapper quelques timides notes de piano. Je reconnu bien vite la légère mélodie : Yiruma, « Dream a little of me »; j'adorais cet album. Quelques pas à reculons, mes mollets heurtèrent doucement le matelas et mon corps retomba sur le lit. La douceur de la musique détendit petit à petit mes muscles et je repensais à aujourd'hui, les yeux clos. De nouveaux arrivants. Une unique fille dans la classe d'à côté, un certain Yamashita dans la nôtre. Rintaro et sa meute au parc. Qu'est-ce qu'ils faisaient là-bas d'ailleurs ? Enfin ils y sont déjà venu, quelques fois, mais ils avaient bien plus de « boissons » que ça. Il m'avait semblé qu'ils étaient au complet mais peut-être que l'un d'entre eux était partit chercher les bières manquantes. Bref, rien à faire de savoir comment ils allaient se bourrer la gueule. Passons. Avec toute l'agitation d'aujourd'hui je n'avais pas eu l'occasion de voir cette nouvelle élève. Je me demandais à quoi elle ressemblait. J'espérais pour elle qu'elle ait du caractère, ou alors qu'elle soit assez timide pour ne pas se créer d'ennuis. On savait tous jusqu'où peut aller Rintaro et sa stupide loi du plus fort. Je me souvenais encore du suicide de cette fille qui se faisait harceler par ces chiens. La pauvre en était devenue folle. Et avait fatalement craqué. Je revoyais son ombre furtive par la fenêtre, son corps qui tombait à toute vitesse. Et tous les regards qui s'étaient précipités vers les vitres pour apercevoir ce pantin désarticulé qui gisait sur le béton. Personne n'avait rien dit. Parce que tout le monde savait. 

      Une seule personne était sortit du rang. 

      Un certain Kazuya d'après les rumeurs que j'ai pus entendre plus tard. Il avait dévalé les étages et on l'a vu s'écrouler au côté du corps. Il priait déjà pour elle avant même que les professeurs ne réagissent et n'appellent les urgences. 

      Je me demandais s'il était dans la classe de cette nouvelle fille.
     
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    Point de vue de Kiharu
     
      D'un pas rapide, je déambulais dans les couloirs. Regardant de part et d'autre les différents locaux qui arboraient l'établissement. Toutefois, j'espérais ne pas me perdre ni rencontrer les brutes de ma classe. Je m'arrêtais tout net devant de grande porte pivotante où le nom gravé en or n'était nul autre que SHOTEN (Librairie). Je pénétrais dans la pièce sans trop savoir où me diriger. Je regardais autour de moi avec les yeux émerveillés d'une enfant. J'étais impressionnée par la grandeur de la bibliothèque. Elle devait bien faire cinq mètres de haut. Des livres à perte de vue. Je me sentais si minuscule face à la splendeur des lieux. Je ne m'attendais pas du tout à ce que la librairie soit aussi magnifique. 

      Une femme aux allures mal soignées, aux lunettes bien trop grandes pour elle et aux souliers qui claquaient sur le sol venait à ma rencontre. Ce devait être la bibliothécaire :
    - Puis-je vous aidez?

      Je la fixais dans les yeux. Un silence pesait entre nous. Je pris mon courage à deux mains et me lança :

    - Je suis nouvelle. Je me demandais à quoi ressemblait la bibliothèque de l'école. 

      Bizarrement, je me sentais en toute confiance à ses côtés. :

    - En fait, j'adore beaucoup lire. Avez-vous des romans d'aventures?

      Elle se contenta d'acquiescer :

    - Oui bien sûr. suivez-moi.

      Elle tourna les talons pour se diriger vers une étagère. Je la suivis de ce pas. Elle me montra les différents volumes placés sur la tablette du haut. Alors je tendis ma main vers un livre dont la couverture m'attirait. Elle était d'un rouge vif, des lettres en or trônaient sur la reliure :
     
    - Si vous voulez celui-ci vous devez avoir une carte pour l'emprunter. Si ce n'est pas le cas, vous pouvez aussi le lire sur place. Mettez-vous à l'aise! Les élèves sont tellement peu nombreux de nos jours à lire.
     
      Je la dévisageai un moment puis la cloche retentit à nouveau indiquant la fin des activités. La bibliothécaire reprit ses occupations comme si je n'avais jamais existé. Je déposais le livre à sa place puis prit la direction de la sortie. Je me faufilais entre les groupes d'élèves qui se précipitaient vers l'extérieur. Essayant tant bien que mal de contenir mon équilibre. Je vis enfin la lumière du jour. 

      La foule se divisait un peu plus à chaque coin de rue, me laissant enfin seule sur le trottoir.

    *****************************************
     
      Je devais me rendre au plus vite au parc. Apercevant des silhouettes au loin, Je me dirigeai instinctivement vers elles. Je présumais que c'était mon lieu de rendez-vous. Je m'arrêtai devant le groupe d'individus. Nakamura était dos à moi. Ressentant sans doute ma présence, il me fit face :

    - Ah Kiharu! Tu es enfin là! Tu me permets de t'appeler par ton prénom? 

      J'hocha la tête en signe d'approbation. 

      J'étais un peu surprise qu'il m'ébouriffa les cheveux pour détendre l'atmosphère qui se faisait un peu lourd. Nakamura me serra le bras droit puis me tira vers la table. Il voulait sans doute que je me rapproche du groupe. Il me présenta les membres qu'il essayait tant bien que mal de présenter avec droiture :

    - De gauche à droite : Koki, Jin, Nakamaru, Ueda & Taguchi. Des membres récemment ajoutés.

      À leur visages, je reconnu quelques élèves qui étaient présents cet après-midi dont ce Jin. Il avait ce visage rassurant, très protecteur mais semblait tellement vouloir être comme eux. Pourtant, j'avais la sensation du contraire. Il paraissait être à part des autres.
     
    - Au milieu, c'est Rintaro! Le chef. Tu dois sûrement en avoir entendu parler. Il mène pratiquement toute l'école comme il le désire. Et enfin, il ne reste plus que moi : Nakamura. Nous n'avons pas invité les autres membres. Nous sommes pratiquement une trentaine au total, peut-être même plus. Je ne suis pas très fort en maths. Enfin bref, tu auras compris que nous n'aurions pas été discrets si on avait été au complet. Maintenant, les présentations faites. Nous allons t'expliquer ce que nous attendons de tes compétences.

      Sur ces mots, il ria aux éclats. J'avais peur de ce qui m'attendait :

    - Hiro, ça suffit! Maintenant, c'est à mon tour. 

      Tout le monde regardait la scène, intrigués. Un membre du groupe s'avança vers moi :

    - Alors comme Hiro a fait les présentations. Je le répète. Je suis Rintaro, le meneur. C'est à ne pas oublier compris? Et donc tout ce que tu recevras comme ordre viendra de moi. Pour commencer, tu devais nous apporter les bières. Va les chercher. On t'attend. Je pourrai mieux t'expliquer avec une bouteille à la main.

      Je tournais les talons puis traversa la rue. Je me rendis au dépanneur le plus proche. Comment j'allais faire pour les obtenir? Je n'avais pas l'âge requis. Mais je le connaissais ce dépanneur. Je vais avoir des ennuis si jamais le propriétaire me reconnaissait. Il était ami avec mon père. Bien que je ne voyais pas mon paternel souvent, ses amis curieusement se souvenaient de mon existence. Si je réfléchissais bien, il pourrait me laisser partir avec les bouteilles, si j'en faisais la demande. 

      Je me faufilai entre les clients puis me dirigea rapidement vers les réfrigérateurs à l'arrière du magasin. Je m'empressai de prendre trois bouteilles format jumbo au hasard et enfin, les déposai sur le comptoir de la caisse. J'aurais pu aussi bien m'enfuir, bouteille à la main mais j'étais trop honnête pour m'aventurer de la sorte dans un chemin trop étroit. Malheureusement pour moi, je reconnu le gérant du magasin. Je souhaitais qu'il ne me reconnaisse à son tour :

    - Ça te fera 1306.95 yens s'il te plaît.

      Je lui tendis l'argent puis il les engouffra dans sa caisse. Il mis les bouteilles dans un sac. J'étais vraiment fiévreuse à l'idée qu'il puisse ne pas vouloir me les vendre vu l'âge requis pour en acheter ou qu'il me reconnaisse tout bêtement. Il ne devait tout simplement pas se souvenir de mon visage. C'était un plus pour moi. Je pris le sac et dirigea mes pas vers la sortie. Je souriais jusqu'aux oreilles. J'étais fière d'avoir pu passer sans trop de tracas. 

      Après quelques minutes de marches, j'étais tout près des garçons. Je déposais le sac sur la table, il s'empressèrent tous à l'ouvrir :
    - Hum...tu as bien choisi. C'est l'une de mes préférés Bravo!

      Je le fixais avec un regard rempli de fierté.

    - Je vais t'expliquer maintenant, ce que nous sommes. Nous avons des contacts dans d'autres lycées de Tokyo. Alors on traîne parfois avec des gens « peu recommandable » comme disent les profs. Tu vois le genre? Ça nous permet d'avoir la main longue sur deux ou trois établissement scolaire dont Shôtoku. On recrute des personnes comme Jin et ses amis pour faire régner une certaine droiture. ça fait maintenant trois ans qu'on fait ça. Forcément les gens ont peur de notre autorité mais j'adore ça! Quant à toi, ton rôle sera tout simple. Tu devras faire ce que l'on t'ordonne sans poser de questions. D'ailleurs, je trouve que tu le fais à merveille puisque tu ne parles pas. C'est parfait continue comme ça! Donne-moi ton numéro de téléphone. Je risque de t'appeler à certains moments de la journée pour t'indiquer ce que tu devras faire. Ok? Écrit-le là-dessus.

      Mes mains tremblaient. La voix de ce gars me faisait frissonner. Il avait cette façon de parler qui m'intimidait. Je ne me sentais pas bien du tout. Je n'étais pas en confiance avec eux. Je pris le bout de papier qu'il me tendait gentiment avec un crayon. J'écris mon numéro avec des chiffres un peu bâclé, des lignes un peu sinueuses. Je lui rendis après quelques secondes.
    - Tu peux maintenant partir. Au fait, arigato pour les bières. Nous sommes très fières de toi.

      Quand il me donna l'autorisation de partir. Je ne me faisais pas attendre. Je pris vite mes jambes à mon cou. Je ne voulais pas rester une minute de plus en leur compagnie. Ces gars me faisaient flipper littéralement.
     
    Point de vue extérieur
     
      Pas très loin de la scène. Un jeune homme à l'uniforme de Shôtoku était caché derrière un buisson. Il épiait les ombres dans le parc. Il distinguait à peine les silhouettes jusqu'au moment où son regard se posa sur Kiharu qui se précipitait vers la sortie du parc. Il n'en croyait pas ses yeux. Il était surpris de la voir discuter avec ces brutes. Ceux-là même qui l'avaient blessé quelques heures plus tôt.

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